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Point sur le livret de famille et la transidentité

Qu'en est-il du livret de famille lorsqu'on est une personne trans ?

Préliminaires



Rappelons à toutes fins utiles que l'article 9 du Code Civil dispose que :

Source : Article 9 du Code CivilChacun a droit au respect de sa vie privée.


Cela ne fait pas de mal de le rappeler et cela nous sera fort utile ultérieurement.

Avant de parler de livret de famille il faut au préalable parler des actes de l'état civil.

Les actes de l'état civil sont définis dans le Chapitre 1er du Titre II du Livre 1er du Code Civil.

Nous pouvons lire par exemple les officiers de l'état civil exercent leur fonction sous le contrôle du procureur de la République. (Article 41-1 du Code Civil)

Parmi les actes de l'état civil, il y a :


Par exemple, c'est dans le Chapitre II sur les actes de naissance qu'il y a, dans la section 2 bis, les articles de loi insérés par la loi de modernisation de la justice du XXIème du 18 novembre 2016 sur le changement d'état civil des personnes trans.

Maintenant parlons un peu de la filiation, pour cela c'est le Titre VII du Livre 1er du Code Civil.

Le Chapitre 1er concerne les dispositions générales, le Chapitre II est sur l'établissement de la filiation :

Source : Article 311-25 du Code CivilLa filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant.


Le Chapitre III est sur les actions relatives à la filiation et le Chapitre IV concerne l'action à fins de subsides.

Il est bon aussi de noter que le Titre V concerne le mariage, le Titre VI concerne le divorce, le Titre VIII la filiation adoptive et le Titre IX est sur l'autorité parentale.

Mais pour ce qui nous intéresse on restera sur les actes de l'état civil ainsi que la filiation.

Nous remarquons que le Livret de famille ne figure pas parmi les actes de l'état civil. En effet, ce n'est pas un acte de l'état civil. Pour cela il va falloir aller regarder du côté du Code de la procédure civile, des décrets et des arrêtés.

Le livret de famille c'est quoi ?



Suite à la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, un arrêté a été publié le 24 mai 2013 fixant le modèle de livret de famille (télécharger le pdf). Cet arrêté met à jour l'arrêté du 1er juin 2006.

Deux circulaires nous intéressent :


Trois décrets sont incontournables :


Et le code de la procédure civile :


Nous rappellerons à toutes fins utiles l'arrêt du 14 novembre 2006 de la première chambre civile de la cour de Cassation sur un changement d'état civil pour une personne trans.

Selon le Défenseur des Droits dans un courrier du 8 février 2017 cet arrêt stipule que :

Source : Défenseur des Droits le 8 février 2017Le jugement rendu à l'issue d'une action tendant à la modification de la mention du sexe dans l'acte de naissance a un effet constitutif et non déclaratif.


Le jugement est dit constitutif lorsque, le jugement au lieu de reconnaître simplement une situation juridique antérieure à l'instance, crée une situation juridique nouvelle.
A contrario il est dit déclaratif quand il reconnaît une situation juridique antérieur à l'instance.


Concrètement cela veut dire qu'un jugement de changement d'état civil sur la mention du sexe n'est pas rétroactif, s'il y avait des liens de filiations avant le changement d'état civil, ces liens de filiations ne sont pas brisés.

Pour faire simple, le livret de famille est un document administratif dont le contenu, la délivrance et la mise à jour sont réglementés par des arrêtés et des décrets et qui sert à prouver le lien de filiation entre le parent seul ou les parents et le ou les enfants.

Le livret de famille et la transidentité



Nous en venons au cœur du problème. Pourquoi faut-il parler du livret de famille au regard de la transidentité ?

Pour cela nous allons étudier le cas paradigmatique du livret de famille au regard de la transidentité :

Considérons un couple homosexuel ou hétérosexuel, non marié, qui a un enfant, soit biologiquement, soit par adoption, ou un autre moyen, l'essentiel c'est que le lien de filiation soit établi entre les deux parents et l'enfant. On considère aussi que le ou les enfants sont mineurs. Maintenant un de deux parents fait un parcours trans et obtient son changement d'état civil (mention du sexe et prénoms). Considérons que l'autre parent est hostile à ce parcours trans et sera donc hostile à toutes les démarches du parent trans.


Comme le parent non trans est hostile aux démarches du parent trans, seul l'acte de naissance du parent trans sera modifié. L'acte de naissance des enfants ne seront pas modifiés :
  • Acte de naissance du parent trans est modifié.
  • Actes de naissances des enfants ne sont pas modifiés.


On considère maintenant que les deux parents vivent séparément, que le parent trans n'a la garde de ses enfants que un week end de temps en temps ainsi que des vacances scolaires à raison d'une fois sur deux. Ce rythme de garde a été acté par décision de justice. Le parent trans verse une pension au parent non trans.

Le parent non trans conserve le livret de famille d'origine. Ce livret de famille contient l'état civil du parent non trans ainsi que le précédent état civil du parent trans et l'état civil des enfants.

Le parent trans veut inscrire ses enfants à des activités extra scolaires lors qu'il ou elle a la garde de ses enfants, ou bien les inscrire à un centre de loisir ou à une colonie de vacances. Pour cela il faut que le parent prouve sa filiation envers ses enfants. Et pour cela il lui faut un livret de famille.

Pour obtenir un nouveau livret de famille, tel que prévu par la loi, le parent trans peut s'appuyer soit sur la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle et plus particulièrement sur le décret d'application du 29 mars 2017 et qui précise que :

Source : Article 5 du Décret du 29 mars 2017Après l'article 16 du décret du 15 mai 1974 susvisé, il est rétabli un article 16-1 ainsi rédigé :
« Art. 16-1.-Sur demande d'un des époux ou d'un des parents, un nouveau livret de famille est délivré, contre remise du précédent, à la suite d'une décision de changement de la mention du sexe à l'état civil ayant entraîné la modification visée au dernier alinéa de l'article 1055-9. »


Et l'article 16 du Décret du 15 mai 1974 précise que :

Source : Article 16 du Décret du 15 mai 1974Un nouveau livret est pareillement remis aux intéressés, en échange du précédent, en cas de changement dans la filiation ou dans les noms ou prénoms des personnes qui figurent sur le livret.
Il fait état de la nouvelle filiation ou des nouveaux noms et prénoms sans aucune référence aux anciennes mentions.


Nous remarquons une différence, lorsqu'il s'agit de modifier les noms ou les prénoms, il n'y a pas besoin de demander le consentement des tiers alors que lorsqu'il s'agit de la mention du sexe, le consentement exprès des tiers doit être fourni. Cela fait malgré tout penser à une mesure discriminatoire anti-trans, car un livret de famille doit refléter les informations des actes de l'état civil et n'est donc pas protégé par le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes.

Revenons à l'article 16-1 du décret du 15 mai 1974, il faut donc qu'au moins un (en fait "tous") acte de l'état civil du conjoint et des enfants aient été modifiés :

Source : Article 1055-9 du Code de la Procédure CivileLe tribunal ordonne la modification des prénoms dans les actes de l'état civil des conjoints, et, le cas échéant, des enfants, après avoir constaté le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.

La personne dont l'état civil est en cause ou son représentant légal peut être entendu.

Le bénéficiaire du changement de prénom peut également demander cette modification, postérieurement à la décision du tribunal, auprès du procureur de la République près ledit tribunal.

Cette demande est accompagnée du dispositif de la décision devenue définitive et des documents contenant les consentements requis.

Le conjoint, l'enfant majeur ou le représentant légal de l'enfant mineur, peuvent, dans les mêmes conditions, demander au procureur de la République la modification des seuls actes qui les concernent postérieurement à la décision du tribunal.

Dans tous les cas, le procureur de la République ordonne l'apposition de la modification des prénoms sur les actes concernés et transmet les pièces mentionnées à l'alinéa précédent à l'officier de l'état civil dépositaire desdits actes pour y être annexées.


Par conséquent, en cas d'opposition du conjoint ou d'un enfant, le parent trans ne peut pas faire modifier le livret de famille. Le parent trans ne peut pas demander un nouveau livret de famille, il ou elle pourrait demander un second livret de famille et ce second livret de famille serait identique au premier livret de famille.

Source : Article 14 du Décret du 15 mai 1974Un second livret peut être remis à celui des époux ou des parents qui est dépourvu du premier livret, notamment en cas de divorce ou de séparation justifié par la production d'une décision judiciaire ou d'une convention homologuée. La demande en est faite, selon le cas, à l'officier de l'état civil de la résidence du demandeur ou au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Ce second livret est établi par reproduction du précédent.

Si le premier livret ne peut être présenté, l'officier de l'état civil ou le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides adresse, après, le cas échéant, y avoir inscrit les extraits des actes ou des certificats en tenant lieu dont il est dépositaire, un nouveau fascicule aux officiers de l'état civil ayant transcrit ou dressé les autres actes dont les extraits doivent figurer au livret.

Ce livret porte sur la première page la mention "Second livret".


Pourtant selon l'article 10 du décret du 15 mai 1974 :

Source : Article 10 du décret du 15 mai 1974La conservation du livret est assurée par les époux ou les parents auxquels incombe le soin de le faire tenir à jour.


et conformément à l'article 9 du même décret :

Source : Article 9 du Décret du 15 mai 1974Les actes ou jugements qui ont une incidence sur un acte ou un certificat en tenant lieu dont l'extrait figure au livret de famille doivent être mentionnés, selon le cas, par l'officier de l'état civil ou par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à la suite de cet extrait.

Les déclarations conjointes faites en application du premier alinéa de l'article 311-21, du quatrième alinéa de l'article 311-21, du deuxième alinéa de l'article 311-23 et des deuxième et sixième alinéas de l'article 357 du code civil sont portées sur le livret de famille par l'officier de l'état civil qui les reçoit ou par l'officier de l'état civil dépositaire de l'acte de naissance.

L'indication d'enfant sans vie ainsi que la date et le lieu de l'accouchement peuvent être apposés sur le livret de famille, à la demande des parents, par l'officier de l'état civil qui a établi l'acte.

Lorsque l'une des mentions prévues à l'article 28 du code civil aura été portée en marge de l'acte de naissance d'une personne, celle-ci pourra demander à l'officier de l'état civil détenteur de cet acte que cette mention soit portée sur son livret de famille. Toutefois, la mention de la perte, de la déclination, de la déchéance, de l'opposition à l'acquisition de la nationalité française, du retrait du décret de naturalisation ou de réintégration ou de la décision judiciaire ayant constaté l'extranéité sera portée d'office sur le livret de famille lorsque la personne qui a acquis antérieurement la nationalité française ou s'est vu reconnaître judiciairement celle-ci ou délivrer un certificat de nationalité française a demandé qu'il en soit fait mention.

Aucune autre mention ne peut être apposée sur les pages du livret de famille.


Le parent doit tenir à jour le livret de famille, mais n'est pas en mesure de le faire car l'article 16-1 vient contredire cette possibilité puisque l'autre parent est hostile à cette mise à jour.

Nous faisons alors face à un problème insoluble, si le ou la conjointe ou au moins un enfant est hostile à la modification de son propre acte de naissance et, ou, qu'il ou elle ne donne pas son consentement pour une telle modification, le parent trans ne peut pas obtenir un nouveau livret de famille avec les informations le ou la concernant à jour. L'article 16-1 du décret du 15 mai 1974 entre en contradiction avec l'article 10 du même décret et le parent trans ne peut plus protéger sa vie privée pour faire valoir sa filiation avec son ou ses enfants, ce qui entre en conflit avec son droit au respect de la vie privée.

Nous rappelons que par l'intermédiaire de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du Conseil de l'Europe, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a condamné la France le 25 mars 1992 permettant ainsi aux personnes trans d'obtenir le changement d'état civil selon certains critères. Donc on peut dire que à la fois à un niveau national et européen la transidentité d'une personne trans est protégée par le droit à la vie privée.

En revanche, si tous les tiers sont consentants pour faire modifier leurs actes de naissance ainsi que le livret de famille, le parent trans peut faire éditer un nouveau livret de famille où sa nouvelle identité remplacera son ancienne identité administrative.

Plusieurs questions peuvent se poser :

Logiquement, les informations relatives aux parents sur le livret de famille sont conformes à leurs actes de naissance, donc au nouvel état civil du parent trans, entre autre. Cependant l'article 16-1 du décret d'application pour le changement de la mention du sexe à l'état civil permet de ne pas délivrer un nouveau livret de famille conforme si les tiers ne donnent pas leurs consentements. Comment est-ce que la personne trans fait pour prouver sa filiation avec ses enfants sans exposer sa transidentité en devant montrer systématiquement son acte de naissance modifié (puisque le changement d'état civil n'est qu'une mention marginale) ? Cela va à l'encontre du respect de la vie privée, encore une fois.

Si on prend les informations de l'acte de naissance de l'enfant et que nous les comparons aux informations de l'acte de naissance du parent trans : Conformément à l'arrêt de la cour de Cassation du 14 novembre 2006, le changement d'état civil n'est pas rétroactif et donc la filiation n'est pas brisée. Le lien de filiation est toujours présent sauf que le parent trans ne sera pas correctement identifié sur l'acte de naissance de l'enfant. Concernant le livret de famille, il serait évidemment possible d'utiliser le nouvel état civil du parent trans en mettant soit en mention marginale soit en ajoutant l'acte de naissance du parent trans pour bien prouver la filiation, mais cela va, encore une fois, à l'encontre du droit au respect de la vie privée du parent trans.

Prenons le cas où le livret de famille n'est pas modifié suite au changement d'état civil du parent trans. Premièrement cela va à l'encontre de l'article 9 du Décret du 15 mai 1974, mais cela va aussi à l'encontre de la loi du 6 fructidor de l'an II :

Source : Loi du 6 fructidor an IILa loi du 6 fructidor an II portant qu'aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance


Pourtant ce sera le cas avec le livret de famille.

Dernière question :
En cas de décès du conjoint ou d'un enfant, ce ou cette dernière ne pourra plus consentir à faire modifier son acte de naissance, et donc il sera impossible de faire modifier le livret de famille. Il faudra donc réfléchir à un droit "d'opposition" plutôt qu'à un consentement des tiers sur leurs actes de naissance pour ensuite faire modifier le livret de famille.

Conclusion



Si au moins un tiers est hostile à la mise à jour de son propre acte de naissance ainsi qu'à la mise à jour du livret de famille, le parent trans ne pourra pas faire éditer un nouveau livret de famille avec les informations le ou la concernant à jour. Le décret du 29 mars 2017 entérine définitivement cette contradiction dans le droit français et le non respect du droit à la vie privée du parent trans.

Il ne sera plus possible non plus de faire modifier le livret de famille sans faire modifier l'acte de naissance des enfants, ce qui était souvent le cas auparavant (voir notre CP)