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Le féminisme radical dénie la transphobie

Le 10 mai 2017, Meghan Murphy, féminisme radicale, et fondatrice du site canadien FeministCurrent a été auditionnée par le comité sénatorial canadien, Osez le Féminisme (OLF) a publié une traduction1 de sa présentation « explicitant pourquoi le genre n’est qu’une construction sociale, et par conséquent il faut parler de « stéréotypes de genre » et non d’ « identité de genre », qui invisibilise la domination masculine ».

Définissons plusieurs notions, car avant de discuter il faut savoir de quoi nous discutons. La mention du sexe à l’état civil est le terme « masculin » ou « féminin » qui figure sur l’acte de naissance. C’est plus communément dit sous le terme de sexe assigné à la naissance. L’identité de genre est le sentiment, intime et personnel, d’être plutôt masculin ou féminin, le masculin et le féminin étant les extremums d’une même échelle de mesure. A cela il faut bien évidemment ajouter les personnes qui ne se sentent ni masculine ni féminine ou bien qui se sentent d’une identité de genre différente. L’expression de genre, c’est un ensemble de comportements, d’attitudes, de façon de s’habiller, de parler qui renvoient à la société l’expression d’une identité de genre selon des stéréotypes de genre. Le genre est alors un ensemble de l’identité de genre et de l’expression de genre. Enfin le sexe - ou le sexe biologique -, est l’expression phénotypique du sexe génétique, il faut donc ne pas oublier les personnes intersexuées.

Dans sa présentation, traduite par OLF, Meghan Murphy dit : « Le genre ne se réfère pas à une expérience intérieure ou personnelle – c’est une construction sociale ». Nous avons donc un désaccord sur les définitions. Visiblement Meghan Murphy confond le genre et les stéréotypes de genre. Les stéréotypes de genre sont l’ensemble des croyances que nous pouvons avoir sur l’expression de genre. Il faudrait alors parler de stéréotypes de l’expression de genre. Afin de ne pas perdre les lecteurs-trices, nous utiliserons le terme de stéréotypes de genre pour désigner les stéréotypes de l’expression de genre. Ensuite Meghan Murphy dit : « Il [le genre selon sa définition] est le moyen de renforcer les stéréotypes et l’oppression des hommes sur les femmes ». Les stéréotypes de genre renforcent le système d’oppression patriarcal, ils en sont même le socle. Cependant Meghan Murphy dit dans un premier temps que le genre est une construction sociale et ensuite que ce même genre renforce les stéréotypes qui sont justement des croyances sociales. Si nous suivons la logique de Meghan Murphy, le genre est une construction sociale et agit sur lui-même. Cela n’est pas faux, en effet, les stéréotypes de genre entretiennent les stéréotypes de genre. Le désaccord reste au niveau des définitions.

Meghan Murphy dit un peu plus loin : « personne ne nait avec un « genre » ». Force est de constater, de façon empirique, que chaque individu-e nait avec une identité de genre. Elle continue : « le genre nous est imposé par la socialisation. […] les femmes […] se reconnaissent en tant que femmes parce qu’elles sont de sexe biologique féminin ». Meghan Murphy reste cohérente, le genre, selon elle, correspondant aux stéréotypes de genre, sont bien imposés par la société, en revanche, elle affirme que le fait de se reconnaitre en tant que femme repose uniquement sur le sexe biologique. Meghan Murphy est encore une fois cohérente avec ses propos, elle dénie la notion d’identité de genre pour ne s’appuyer que sur la notion de sexe biologique, et c’est selon le sexe biologique que les individu-e-s construiraient leurs identités de genre. La contradiction commence à apparaître.

Meghan Murphy enfonce le clou lorsqu’elle dit : « L’idée qu’il suffirait simplement aux femmes de changer leur expression de genre ou de s’identifier différemment pour échapper à l’oppression patriarcale est insultante et évidemment fausse. Cependant, c’est cette arnaque que véhiculent les notions d’ « identité de genre » et d’ « expression de genre ». ». Cette fois-ci, c’est dit clairement, selon Meghan Murphy, l’identité de genre et l’expression de genre sont des « arnaque[s] » et donc réfute ces notions.

En confondant le genre et les stéréotypes de genre imposés par la société et en affirmant que c’est à partir du sexe biologique que se construit le sentiment d’appartenance à la masculinité ou à la féminité, Meghan Murphy semble vouloir dire que c’est à partir du sexe biologique que se construit l’identité de genre, notion qu’elle qualifie elle-même d’ « arnaque », et elle dit aussi que le « genre nous est imposé par la socialisation ». Il semblerait que le sentiment d’appartenance à la masculinité ou à la féminité soit à la fois issue du biologique et de la socialisation, selon Meghan Murphy.

Il y a donc une profonde incohérence dans l’argumentation de Meghan Murphy. Elle veut à la fois dénier l’existence de l’identité de genre et de l’expression de genre, mais dit en même temps que le sexe biologique construit l’identité de genre et que les stéréotypes de genre sont imposés par la socialisation. Meghan Murphy serait donc en accord avec nos définitions du genre, de l’identité de genre et de l’expression de genre, tout en qualifiant ces notions d’ « arnaque[s] ».

Par ce procédé, Meghan Murphy ne cherche en réalité qu’à dénier l’existence des personnes transidentitaires en les considérant comme des imposteurs et camoufler derrière un raisonnement étrange, leur haine envers ces dernières, haine qui est bien illustrée par le propos suivant : « Si nous affirmons qu’un homme peut être une femme en nous basant sur quelque chose d’aussi vague qu’un « sentiment » ou parce qu’il choisit d’adopter une apparence conforme aux stéréotypes de la féminité, quelle conséquence cela a-t-il sur les droits des femmes et leur protection ? Devrait-il être autorisé à candidater à des postes, des subventions ou des programmes, spécialement réservés aux femmes parce que les femmes sont justement sous-représentées ou marginalisées dans des secteurs dominés par les hommes ? ». Nous retrouvons ici la vieille rengaine des féministes radicales contre les personnes transidentitaires qui consiste à accuser les personnes trans MtF d’être des hommes qui s’infiltreraient chez les femmes pour leur voler les quelques avantages qu’elles peuvent avoir. Non seulement elles oublient totalement l’existence des personnes trans FtM, mais méconnaissent profondément la réalité des vécus trans. Il serait effectivement folie de quitter son statut d’homme dans une société patriarcale pour essayer de jouir des avantages réservés aux femmes. Ce que Meghan Murphy reconnait elle-même : « Pourquoi alors accepter l’idée qu’un homme s’appropriant les stéréotypes sexistes traditionnellement associés aux femmes, pourrait comme par enchantement changer de sexe et se dépouiller de son privilège homme ? ». Pourtant Meghan Murphy, et les féministes radicales, prétendent dénoncer cette imposture chez les personnes trans MtF. Encore une fois, il y a une profonde incohérence dans le raisonnement de Meghan Murphy.

Enfin Meghan Murphy semble ne pas comprendre que les personnes transidentitaires maitrisent très bien les différentes intensités de l’identité de genre entre la masculinité d’un côté et la féminité de l’autre, ces deux extremums étant reliés par un continuum : « Dissoudre les catégories « homme » et « femme » afin de permettre la « fluidité de genre » peut sembler progressiste. Mais cela n’est pas plus progressiste dans les circonstances actuelles que de dire que la race n’existe pas ». Quelles raisons y aurait-il pour les personnes transidentitaires de faire un parcours trans, si ce n’est pour faire concorder leur expression de genre avec leur identité de genre ?

Pour conclure, l’argumentation de Meghan Murphy a pour but d’accuser les personnes transidentitaires de ne pas être des personnes transidentitaires mais des imposteurs au service du patriarcat, en cela elle nie l’existence de la transidentité. Dans la continuité, Meghan Murphy nie l’existence des vécus trans et donc nie totalement la transphobie vécue par toutes les personnes transidentitaires en les accusant, fallacieusement, de ne pas saisir la notion d’identité de genre, notion qu’elle dénie elle-même tout en l’utilisant. Nier l’existence de la transphobie est bien une preuve de transphobie.

Sun Hee YOON pour Acthé le 23 juin 2017

1 : http://feministoclic.olf.site/lidentite-de-genre-limposture-invisibilise-patriarcat-meghan-murphy/