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Le changement d’état civil, « un outil d’égalité » ?

Ce mercredi 4 mai, grâce au dépôt d’un amendement sur le changement d’état civil pour les personnes trans par le député Sergio Coronado (EELV), les députés socialistes ont, enfin, manifesté leur volonté d’inscrire dans la loi la possibilité de modifier la mention du sexe à l’état civil.

L’histoire du changement de la mention du sexe à l’état civil est récente. Avant l’arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 1975 qui invoque « le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes » et interdit ainsi les changements d’état civil sur tout le territoire français, il était possible de faire modifier la mention du sexe à l’état civil. Il faudra attendre la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 25 mars 1992 qui provoquera un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation le 11 décembre 1992 qui imposera dans deux arrêts les critères suivants pour obtenir un changement d’état civil : le diagnostic de « transsexuel vrai », le comportement dans le sexe revendiqué aussi bien dans la vie personnelle que sociale, la « modification morphologique réalisée à des fins et sous contrôle thérapeutique, et d’un vrai changement d’identité sexuelle » et enfin que « la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire ». A partir de cette date et sous les critères de la Cour de cassation, le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne peut plus faire obstacle à la modification de la mention du sexe à l’état civil, sous peine d’entrer en conflit avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde et des libertés fondamentales.

En dépit de cette condamnation par la CEDH, les pouvoirs publics et certains médecins semblent avoir la volonté de stériliser à tout prix les personnes transidentitaires, rappelant ainsi les pratiques eugéniques envers ceux que l’on considère comme des « malades mentaux ». C’est ainsi que la Cour de cassation précise dans la jurisprudence le 7 juin 2012 et le 13 février 2013 qu’il faut désormais établir « la réalité du syndrome transsexuel […] ainsi que le caractère irréversibilité de la transformation de son apparence ». Ne sachant comment exiger la stérilisation, car l’eugénisme est bien évidemment interdit en France, il fallait au pouvoir juridique un moyen de contourner la loi afin d’imposer ce qui ne peut être ouvertement explicité. En utilisant le mot « irréversible », la cour de cassation s’inspire de la circulaire du 14 mai 2010 qui précisait : « vous pourrez donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastiques […], ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux ». Or la plupart des médecins considèrent que les effets d’une hormonothérapie ne sauraient être irréversibles : il faut donc apporter les preuves d’une opération génitale pour prouver l’irréversibilité. Cette jurisprudence, peu précise, permet à certains juges d’accorder un changement d’état civil sans stérilisation alors que d’autres juridictions l’imposent toujours comme condition sine qua non pour modifier la mention du sexe à l’état civil. Cette situation entraîne de graves disparités de traitement sur le territoire incitant les personnes trans au forum shopping – à déménager pour être jugé dans une juridiction plus favorable – et tant que le législateur ne prendra pas ses responsabilités en inscrivant le changement d’état civil dans la loi, les inégalités perdureront.

Plusieurs député-e-s et sénateurs-trices ont tenté de faire adopter une telle loi, Henri Caillavet en 1982, Michèle Delaunay en 2011, Esther Benbassa en 2013 et Pascale Crozon en 2015. Pourtant aucune de ces propositions de loi n’a été débattue dans l’hémicycle et si le sujet revient aujourd’hui, c’est que la France risque de se faire condamner une nouvelle fois par la CEDH, comme l’a avoué la députée Pascale Crozon lors de la commission des lois du 4 mai 2016. Les députés socialistes Pascale Crozon, Erwan Binet et Michèle Delaunay, ainsi que les rapporteurs du projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire ont donc annoncé leur volonté d’aboutir sur ce sujet, un « outil d’égalité » suivant les mots de Michèle Delaunay.

Pourtant, en annonçant qu’ils allaient baser la nouvelle procédure sur l’établissement de la possession d’état devant le procureur, ces députés risquent au contraire d’inscrire dans la loi la source de nombreuses discriminations et atteintes aux droits fondamentaux des personnes trans. En effet, même si cette notion juridique n’a jamais été utilisée pour le changement d’état civil et qu’il est difficile d’anticiper de quelle manière les juges et les procureurs vont apprécier les preuves apportées, une telle notion leur permettra de s’appuyer sur de nombreux critères cumulatifs. Cela risque de forcer les personnes à attendre plusieurs mois avant d’obtenir des papiers conformes à leur genre, après le début de leur transition les laissant dans une situation sociale et administrative ubuesque, contraire au droit à la vie privée.

Les procureurs pourront ainsi demander la preuve de la fama, la réputation, autrement dit que la personne est bien perçue dans le sexe revendiqué par la société, perception qui repose sur des stéréotypes de genre et de sexe : « Etes-vous capable de faire des pompes ? » « Portez-vous des jupes ? ». A cela pourra s’ajouter la notion de non-équivocité, c'est-à-dire prouver que l’apparence créée ne puisse recevoir des interprétations différentes. Cela renvoie encore à la question de qu’est-ce qu’un homme, qu’est-ce qu’une femme ? Faudra-t-il être l’homme très viril ou la femme très féminine pour que le procureur considère la non-équivocité ? Quels autres critères, possiblement draconiens pourront être invoqués ?

Pire encore, c’est laisser la porte ouverte à l’exigence de certificats médicaux pour prouver médicalement l’état d’homme ou l’état de femme. Certificats médicaux que les demandeurs pourront vouloir apporter d’eux-mêmes dans le but d’éviter les ennuis et ainsi maximiser leur chance d’obtenir leur changement d’état civil. Ce qui revient donc à médicaliser le changement d’état civil.

Les procureurs pourront aussi demander de prouver le tractatus, - que la personne est considérée dans la bonne identité par la société. Cela n’est ni plus ni moins qu’un l’encouragement à la fraude ! Comment, en effet, obtenir des documents avec un état civil qui n’est pas celui indiqué sur les papiers d’identité sans mentir sur celui-ci ?
Enfin, à supposer que la personne remplisse toutes les conditions, il lui faudra encore attendre que le procureur ait le temps de traiter son dossier. En effet, il est extrêmement difficile de contraindre un procureur qui prendrait son temps, éventuellement infini, pour répondre à un dossier de changement d’état civil, laissant les demandeurs sans recours simple possible. De telles situations, même rares seraient absolument intolérables. Or aujourd’hui il existe des juridictions où il est possible d’obtenir un changement d’état civil sans stérilisation, mais où les procureurs bloquent la retranscription de la modification de la mention du sexe à l’état civil s’arrogeant ainsi le droit de s’opposer au jugement de la cour du fond, puisque le changement d’état civil n’est opposable qu’une fois retranscrit.

Aussi, si les intentions du législateur – un peu aidé par la menace de la CEDH – sont louables, il est indispensable de faire une loi qui garantisse véritablement les droits fondamentaux des personnes trans, une loi conforme à la résolution 2048 du conseil de l’Europe, votée par les représentant-e-s de la France il y a un an. Seule une loi permettant une procédure basée sur l’autodétermination, transparente, rapide, accessible, démédicalisée et déjudiciarisée, pourra constituer un véritable « outil d’égalité » !

Sun Hee Yoon, présidente de l’Association Commune Trans et Homo pour l’Egalité.